samedi 20 juin 2020

LIRE : " LE VIRUS DE LA TÉLÉ SERVILE : COVID - ORTF"

Paru dans CQFD n°188 (juin 2020), par Samuel Gontier, illustré par

Samuel Gontier est journaliste à Télérama, pour lequel il tient notamment une chronique caustique de l’incurie télévisuelle, « Ma vie au poste » [1] . Un travail à la fois désopilant et navrant, permettant de saisir l’ampleur de la soumission des grandes chaînes d’information aux pouvoirs en place. Pour CQFD, il décrit ici leur servilité par temps de Covid.

Par Gautier Ducatez {JPEG}

Le coronavirus a-t-il changé le monde de l’audiovisuel ? Non. Sur les chaînes d’info comme dans les journaux télévisés, la révérence envers le(s) pouvoir(s) était déjà très forte avant. Avec la crise sanitaire, cette déférence s’est encore accrue – et la place accordée à des voix discordantes s’est encore amoindrie.
Pendant plus de deux mois, l’actualité télévisée se limite à un seul sujet, le Covid-19, sur lequel les autorités « compétentes » communiquent à longueur de journée. Une palanquée de « professeurs » colonisent les écrans, relayant la parole officielle. À l’origine de la déférence des « mandarins », la loi portée par Roselyne Bachelot en 2009. Depuis, les directeurs d’hôpitaux ne sont plus choisis par leurs pairs médecins mais nommés par le ministère. Les multiples « chefs de service » médiatiques ont donc le doigt sur la couture du pantalon — ou de la surblouse, quand ils en ont. « Il y a une réactivité exceptionnelle de l’administration et de toute la logistique, admire sur LCI, en début de crise, le professeur Bertrand Guidet, chef du service de réanimation à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. Aujourd’hui, j’ai demandé des surblouses, deux minutes après [je les avais]. » En revanche, on n’entend quasiment pas la parole des soignants « de base », eux qui sur les réseaux sociaux montrent comment ils se confectionnent des surblouses dans des sacs poubelle.
Ce panurgisme s’illustre dans le soutien quasi unanime au gouvernement quand il refuse le port du masque. « Les services de réanimation sont remplis de personnes qui pour certaines d’entre elles portaient des masques », prétend le ministre de la santé Olivier Véran. Experts et éditorialistes acquiescent. « Avoir un masque et le toucher toute la journée [...] peut être un vecteur de contamination », alerte Daniel Guillerm, de la Fédération nationale des infirmiers libéraux. « Avoir un masque peut être totalement illusoire », renchérit Virginie Le Guay, de Paris Match. En résumé, le gouvernement a savamment organisé la pénurie de masques pour protéger la population.
Le même suivisme s’observe dans la rengaine du « relâchement » serinée par le gouvernement – moyen de pointer les comportements individuels plutôt que sa responsabilité. Ce thème surgit dès le premier jour du confinement : les télés, à l’invitation de la préfecture de police de Paris, se ruent dans le quartier de Château-Rouge, où vit une population majoritairement d’origine immigrée, pour dénoncer le sort fait aux policiers, « encerclés par des gens devant, des gens derrière, sur les côtés » (Laurence Ferrari sur CNews). À coups d’images filmées au téléobjectif, qui raccourcit les distances et rapproche les personnes, le thème du « relâchement des Français » est récurrent durant tout le confinement, et même après. Attention, pas celui des habitants des beaux quartiers, injustement maltraités par les policiers, au point qu’un expert de CNews s’émeut du « racisme anti-blanc de la police de Castaner »… pendant que s’ébattent librement les habitants des quartiers populaires par nature indisciplinés.Sans parler des Marseillais, dont le caractère méditerranéen explique l’incivisme. En revanche, aucune mention des violences policières décuplées dans les « quartiers ». Hormis quelques paroles apitoyées, très peu de préoccupation pour le sort des travailleurs (éboueurs, vigiles, caissières, etc.) contraints de s’entasser dans les transports en commun pour rejoindre un travail où ils sont particulièrement exposés.
Pour leur part, les éditocrates, tels Christophe Barbier ou les Duhamel (Alain sur BFM et Olivier sur LCI) se félicitent que la population ait peur, une peur nécessaire au respect des « gestes barrières » et donc au « redémarrage économique ». Si cela ne suffit pas, Jean-Michel Apathie (LCI) a une idée : « La démocratie n’est pas un horizon indépassable, soutient-il en plaidant pour un “tracking” généralisé, il peut être dépassé par des formes plus contraignantes. » Bienvenue dans le « monde d’après ».
Toutes dans le même bain

Difficile de classer les chaînes selon leur degré d’inféodation au pouvoir. Il n’y avait pas grand-chose à attendre de TF1 ni de BFM-TV, laquelle s’était déjà imposée comme la chaîne officielle de la Macronie. Certes, il arrive que des voix dissonantes s’y fassent entendre, quand de rares personnalités de gauche s’expriment ou que des syndicalistes sont interrogés (sans ménagement). Mais la ribambelle d’éditocrates estampillés « éditorialiste BFM-TV » est constituée d’ardents macronistes. Entre Alain Duhamel, Christophe Barbier, Anna Cabana, Bruno Jeudy ou Ruth Elkrief, pas l’ombre d’un désaccord. Ce qui donne des débats surréalistes, aussi enjoués que futiles, quand quatre d’entre eux « ferraillent » sur le même plateau. « Tous les Français veulent entendre Emmanuel Macron  ! », clame Laurent Neumann avant la diffusion d’un « document exceptionnel », une immersion « au cœur de l’Élysée face à la crise », panégyrique digne d’un service de communication.
LCI ne vaut guère mieux. À quelques exceptions près, comme Rokhaya Diallo (chez Pujadas), ou l’urgentiste Gérald Kierzek (défenseur de l’hôpital public), les plateaux sont d’une confondante uniformité. La chaîne du groupe TF1 est capable d’organiser des « débats » entre Daniel Cohn-Bendit (macroniste acharné), Olivier Duhamel (membre de l’Institut Montaigne, qui réclame de supprimer congés et jours fériés), Luc Ferry (qui appelait l’an dernier à tirer à balles réelles sur les Gilets jaunes) et Roselyne Bachelot (fossoyeuse de l’hôpital public sous Sarkozy, aujourd’hui thuriféraire dévouée de la Macronie).
France Télévisions, et particulièrement France 2, s’est montrée tout aussi servile, au point de susciter un communiqué indigné du Syndicat national des journalistes (SNJ), peu suspect de radicalité. Y est pointé « un discours unique et formaté, relayant la communication gouvernementale. Les éditions nationales de JT, en particulier le 20 heures de France 2, sont transformées en un interminable défilé de ministres et responsables LREM ». Pour ponctuer ce défilé, une longue succession de micro-trottoirs, degré zéro du journalisme, afin de sonder le vécu des « Français ».
Exemple de la similitude des modes de traitement, le discours compassionnel sur les soignants, suite logique du peu de cas fait de leurs luttes des années passées. France 2 et TF1 diffusent successivement le même sujet larmoyant sur les personnels hospitaliers décédés en s’appuyant sur les témoignages de proches éplorés. Les deux chaînes ne mentionnent pas que ces morts sont largement dues au délabrement organisé de l’hôpital, au manque de moyens de protection. Dans le même esprit, BFM-TV crée une nouvelle rubrique, « 20 h on applaudit », pour diffuser chaque soir les encouragements aux soignants. De ce jour, j’arrête moi-même de pratiquer ce rituel.
Seule CNews se distingue, mais par sa propension à mettre en valeur des personnalités d’extrême droite (Éric Zemmour, Élisabeth Lévy, Ivan Rioufol, Charlotte d’Ornellas, etc.). Ceux-là ne ménagent pas leurs critiques contre le gouvernement, dénonçant une « dictature sanitaire » liberticide. Non en raison de l’arbitraire policier, mais en condamnant le principe même du confinement, à l’égal de l’alt-right américaine, pour laquelle l’obligation du confinement relève du « communisme ».
Autre point commun, la promotion béate de la charité pour financer le système hospitalier. Qu’elles proviennent de vedettes du show-biz ou de « bonnes volontés » de particuliers, les initiatives caritatives sont admirées et promues. France 2 participe allègrement à cette mise en cause du financement d’un service public par l’impôt en dédiant « une grande soirée d’utilité publique » (!) à la récolte de fonds pour la Fondation des hôpitaux de Paris-hôpitaux de France. « Et il y a une surprise, la Française des Jeux vient de décider d’un don exceptionnel d’un million d’euros  ! » Ça valait le coup de la privatiser. De son côté, BFM-TV fait sponsoriser son « 20 h on applaudit » par les magasins Lidl, arguant que les recettes de l’opération sont reversées à la même fondation… présidée par Brigitte Macron. C’est la charité qui se fout de l’hôpital.
Samuel Gontier

mardi 16 juin 2020

LES MÉDIAS INDÉPENDANTS SE PORTENT AU SECOURS DE RADIO FRANCE POUR ASSURER LE PLURALISME EN ÉCONOMIE !

 

Suite à la crise sanitaire, Les Rencontres Économiques organisées annuellement par le très libéral Cercle des Économistes ne pourront pas se dérouler comme d’habitude à Aix-en-Provence.
Elles auront lieu à la Maison de la radio à Paris suite à un partenariat passé avec Sybile Veil, présidente du groupe Radio France.




Sybile Veil, soucieuse de sa mission de service public, déclare que ce partenariat prévoit « de développer la culture économique auprès d’un vaste public grâce au rayonnement de Radio France et ses 15 millions d’auditeurs ».
Les organisateurs des Rencontres Déconnomiques d’Aix-en-Provence qui, depuis 2012 se déroulent simultanément en réplique aux Rencontres Économiques, ont proposé à la présidente de Radio France d’élargir son partenariat pour non seulement développer la culture économique, mais aussi informer les 15 millions d’auditeurs du pluralisme concernant les écoles de pensée en sciences économiques. (voir la lettre adressée à Sybile Veil).
Comme Radio France ne semble pas vouloir apporter une réponse positive à notre proposition, alors de nombreux médias indépendants ont donc décidé d’ouvrir leurs portes aux économistes hétérodoxes (voir la liste ci-dessous) pour véritablement parler d’économie pendant que Radio France déversera sa propagande ultralibérale sur toutes ses antennes : 300 intervenants sont prévus les 3, 4 et 5 juillet 2020.

Pour avoir d'autres informations sur les activités de l'association des "Deconnomistes" : https://deconnomistes.org/operation-radio-france/?fbclid=IwAR1hwnSCSL9eQyvHE-NvRgi10Y8tACqjWrl7XGpRrgLrBh9ok2WQq4oH5II


Liste des premiers économistes participants à l’opération (liste non exhaustive) :
Fabrice Aubert, Jean-Pierre Berlan, David Cayla, Gabriel Colletis, Christelle de Cremiers, Coralie Delaume, Gérard Duménil, Bernard Friot, Jacques Généreux, Liem Hoang-Ngoc, Agnès Labrousse, Thomas Lagoarde-Segot, Sylvain Leder, Virginie Monvoisin, Fabienne Orsi, Claude Paraponaris, Thomas Porcher, Christophe Ramaux, Mathias Reymond, Philippe Richard, Bertrand Rothé, Patrick Saurin, Jean-François Simonin, Éric Stemmelen, Antoine Vion…

Et avec la participation (liste non exhaustive) :
Aurélien Bernier, Christian Cauvin, Gérard Filoche, Romaric Godin, Thomas Guénolé, Prune Helfter-Noah, Jacques le Bohec, Danièle Linhart, Gérard Mordillat, Corinne Morel-Darleux, Jean-Louis Odekerken, Monique Pinçon-Charlot, François Ruffin, Patrick Saurin, Jean-François Simonin, Martine Vasselin …

Médias ayant confirmé leur participation (au 13 juin 2020)
Presse : Le Ravi, Politis, Le Monde diplomatique, L’humanité.
Web : Arrêt sur Images, Là-bas si j’y suis, Le Média, Médiapart, Quartier Général, Frustration, Altermidi,  Acrimed.
Radio : Radio Galère. Radio Grenouille, Radio Zinzine.
Site : Fakir, Les Amis du Diplo, Les Déconnomistes.

Médias devant confirmer leur participation (ou non)
Presse : Regards, CQFD, La Marseillaise
Web : Basta, Les jours, Le grand soir, Le vent se lève, Marsactu, Le Faucigny, Ethiquement parlant.
Radio : Radio Nova

 

mercredi 3 juin 2020

LIRE : " PLAINTE POUR DIFFAMATION : MA VISITE SURRÉALISTE CHEZ LES GENDARMES"


Nous reproduisons ici, avec l'autorisation de son auteur, un article de Nicolas Barriquand journaliste du site MÉDIACITÉS LYON publié le 29 mai 2020.

Il relate les motifs et les conditions de son audition à la gendarmerie à la suite d'une plainte déposée contre lui par une "municipalité du Grand Lyon" relative à une enquête qu'il a réalisé à son sujet.

Pour découvrir le site Médiacités Lyon , c'est ici  : https://www.mediacites.fr/lyon/

 

 

Plainte pour diffamation : ma visite surréaliste chez les gendarmes


Comme auteur d’une enquête sur une municipalité du Grand Lyon, je viens d’être convoqué par la gendarmerie suite au dépôt d’une plainte pour diffamation du maire mis en cause. Mon audition s'est révélée cocasse.
“Avez‐vous des tatouages ou des cicatrices ? », m’interroge le gendarme. Si je m’attendais à ce qu’on me pose cette question dans l’exercice de mon métier de journaliste… À part la trace d’une très ancienne péritonite qu’on ne distingue presque plus, je n’ai rien à déclarer à Monsieur l’agent.
Ce jeudi matin, je me trouve dans les locaux d’une gendarmerie de l’agglomération lyonnaise. Le maire d’une commune du Grand Lyon n’ayant pas apprécié une de nos enquêtes, je fais l’objet d’une plainte pour diffamation – ainsi que le directeur de la publication Jacques Trentesaux – qui se traduit par une commission rogatoire.
En matière de délit de presse, l’instruction est obligatoire.     
Quelques jours auparavant m’attendait dans la boîte aux lettres de mon domicile une feuille volante avec pour en‐tête « la Gendarmerie nationale, une force humaine ». Je suis invité à prendre contact avec l’adjudant P., officier de police judiciaire. Le tout est frappé d’un tampon rouge « URGENT ».

« Votre intention ? Dénigrer le maire ?»

 Me voici donc devant l’adjudant en question. Il me demande de décliner l’identité de mes parents (« nom, prénoms, nom de jeune fille de votre mère »), avant d’entrer dans le vif du sujet : comment ai‐je procédé pour préparer mon article, qui ai‐je rencontré, etc. Mes réponses sont courtes et évasives : la loi, en France, garantit à la presse le secret des sources. « En dehors des personnes citées dans l’enquête, je n’ai pas d’autres noms à vous transmettre », rétorque‐je au gendarme.
Mon audition prend ensuite un tour plus surréaliste. « Quelle était votre intention en écrivant cet article ? Dénigrer le maire ? Lui nuire ? », me lance mon interlocuteur. « Euh… non, seulement informer mes lecteurs ». Me revient en tête le souvenir d’Au Poste !, l’excellent et loufoque film de Quentin Dupieux. Mais revenons à la gendarmerie : « Vous a‑t‐on remis des documents ? ». Diantre ! L’affaire qui nous occupe est pourtant loin d’un Watergate ou d’un Wikileaks…
« – Comme pour tout article, j’ai réuni une documentation, je ne peux pas vous en dire plus.
– Et si je vous dis : Campanile de la Part‐Dieu ? »

Pour la préparation de mon enquête, j’avais rencontré un élu, cité dans l’article, au café du Campanile de la Part‐Dieu. De mémoire, il avait un train à prendre après notre interview, pour raisons professionnelles, d’où le lieu du rendez‐vous. Pour préparer notre entretien, cette personne, qui a donc été auditionnée auparavant par l’adjudant, avait imprimé des procès‐verbaux de conseils municipaux et des délibérations. En termes de « documents », on ne fait pas plus public !
Mi‐interloqué, mi‐amusé, je reprends : « Oui, j’ai réalisé une interview dans un café, ça m’arrive tous les jours ou presque… » « De toute façon, ça n’ira pas bien loin cette histoire, si vous voulez mon avis », commente le gendarme qui imprime mon audition et me la donne à signer, avant de me confier à un collègue pour un relevé anthropométrique.

 

Les doigts, les paumes et les phalanges

Je l’interroge : « Est‐ce franchement nécessaire de prendre mes empreintes pour cela ? » J’ai ma réponse : « C’est dans la procédure pénale. Vous pouvez refuser mais c’est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Je vérifierai ultérieurement : c’est bien écrit à l’article 55–1 du code de procédure pénale.

Pour l’heure, j’imprègne mes dix doigts sur un encrier, mais aussi les paumes de mes mains et toutes mes phalanges. « Gardez le poignet souple », me conseille le gendarme en charge de l’opération. Il me prend aussi en photo, de face, de profil, avec mes lunettes, sans. Et s’enquiert donc de mes potentiels tatouages et cicatrices.
On m’apporte du savon pour mes mains noires d’encre – « faites gaffe, ça tache les vêtements » – avant de me laisser partir. Deux heures et demi de perdues, entre l’audition et le temps passé pour m’y rendre, mais me voilà fiché !