samedi 30 octobre 2021

TRIBUNE : "OUVREZ LES FENÊTRES, LISEZ LA PRESSE INDÉPENDANTE !"

Nous reproduisons une tribune [1] publiée conjointement par plusieurs dizaines de médias indépendants le 27 octobre.

"Nous sommes des médias indépendants, lus, écoutés, regardés chaque jour par des millions de citoyennes et citoyens. Au-delà de nos différences éditoriales, nous nous retrouvons sur l’essentiel : la passion d’un journalisme libre, honnête, au service de nos publics et à l’écoute de la société.

Une information libre et pluraliste est la condition de la démocratie. Elle est aujourd’hui menacée par un système médiatique dominant qui vient de nous infliger deux mois de « zemmourisation » du débat public et un agenda informatif médiocre, pour ne pas dire plus.

Elle est menacée avec la mise à genoux du journalisme par Vincent Bolloré. L’homme d’affaires a décidé de mettre son immense groupe de presse au service d’un polémiste xénophobe et misogyne, condamné à deux reprises pour provocation à la haine raciale.

Elle est menacée par une concentration sans précédent des grands médias aux mains d’une petite dizaine de grandes fortunes qui recherchent ainsi protection et influence et, trop souvent, imposent leur agenda idéologique.

Cette information libre et pluraliste est aussi mise en danger par un système d’aides publiques aux médias dénoncé depuis des années comme inefficace et inégalitaire. Pourquoi ? Parce que dix grands groupes en sont les principaux bénéficiaires et cette distorsion de concurrence menace directement le pluralisme.

À la Libération, Hubert-Beuve Méry, fondateur du journal Le Monde, dénonçait la « presse d’industrie », cette presse de l’entre-deux-guerres tenue par des industriels et qui allait sombrer dans la collaboration. « Il y a une chance d’éviter pour l’avenir les pourritures que j’ai vues dans le passé », disait-il alors. « Une société qui supporte d’être distraite par une presse déshonorée court à l’esclavage », écrivait Albert Camus.

Il y a une chance d’éviter l’actuel affaissement du débat public. D’éviter l’engloutissement du journalisme sous les polémiques nauséabondes, les post-vérités, les intérêts politiciens et/ou mercantiles.

Cette chance est la presse indépendante.

Dans leur diversité, ces médias indépendants vous proposent ce que le rouleau compresseur des médias dominants écrase ou minore, ignore ou discrédite. Les questions sociales, de l’égalité femmes-hommes, des mobilisations antiracistes, du travail, les nouvelles luttes et dynamiques qui traversent la société, les enjeux environnementaux, l’urgence climatique, les nouveaux modes de vie.

Dans les régions, ce sont des titres indépendants qui viennent bousculer par leurs enquêtes une presse régionale souvent en situation de monopole et dépendante des pouvoirs locaux. A l’échelle internationale, ils décryptent l’actualité de l’Europe, enquêtent sur ses institutions, éclairent les nouveaux enjeux du monde.

Avec de faibles moyens financiers, cette presse indépendante enquête, raconte, innove, débat. Il est urgent de la soutenir face aux offensives des puissances d’argent. Il faut la soutenir face à l’inaction et au silence inquiétants des pouvoirs publics en réaffirmant que l’information n’est pas une marchandise comme les autres.

Il est urgent, à travers elle, de défendre les droits moraux des journalistes, leurs conditions de travail. Il est urgent de construire un environnement économique propice à ces éditeurs indépendants et à la production d’une information de qualité.

Nos titres vivent aujourd’hui pour l’essentiel, et parfois exclusivement, des contributions, dons ou abonnements de nos lectrices et lecteurs. Ils garantissent notre indépendance.

Mais c’est à la société tout entière que nous adressons cet appel en forme d’alerte. Il y a une alternative à la « mal info » et à certains médias de masse qui propagent les peurs, les haines et fracturent la société.

Soutenez la presse indépendante. Regardez-la, écoutez-la, lisez-la."


Signataires : 6 mois, Alternatives économiques, AlterPresse68, Basta, BondyBlog, Disclose, Factuel Info, Guiti News, Guyaweb, Headline, L’Âge de Faire, L’Averty, La Déferlante, La Revue Dessinée, Le Courrier des Balkans, Le Drenche, Le Fonds pour une Presse Libre, Le Mouais, La Mule du Pape, Le Petit ZPL, Le Poing, Le Poulpe, Le Ravi, Les Autres Possibles, Les Jours, Les Surligneurs, Marsactu, Mediacités, Mediapart, Natura Sciences, Novastan, Orient XXI, Pays Revue, Politis, Radio Parleur, Reflets Info, Regards, Revue 90°, Revue XXI, Rue89Bordeaux, Rue89Strasbourg, Splann !, StreetPress, Topo, Vert, Voxeurop, Bien Urbains, Blast, CQFD, Dièses, Femmes ici et ailleurs, France Maghreb 2, Frustration magasine, Grand Format, L’Arrière-Cour, La Clé des Ondes, La Disparition, La Lettre de l’audiovisuel, La Topette, Le Courrier d’Europe centrale, Le Media TV, Le Peuple breton, Le Zéphyr, Lokko, Mr Mondialisation, Paris Lights Up, Podcastine.fr, Rapports de Force, Revue Far Ouest, Rue89Lyon, Sept.info.

 

samedi 23 octobre 2021

SORTIE DE "MÉDIACRITIQUES" N°40 : LES MÉDIAS ET LE TRAVAIL

 

Médiacritiques a dix ans ! Le n°40 de notre revue trimestrielle sortira de l’imprimerie le 27 octobre. Avec un dossier spécial sur les médias et le travail, des rubriques inédites et les dessins de Colloghan. À commander dès maintenant sur notre boutique en ligne, ou à retrouver en librairie. Et surtout, abonnez-vous !

 



« Nous avions rêvé depuis longtemps – et vous aussi peut-être – d’un magazine imprimé – et régulier – d’Acrimed. Ce sera Médiacritique(s), un magazine trimestriel et coloré de 32 pages. » Quand, en octobre 2011, nous avions publié l’avis de naissance de notre magazine, nous étions loin de nous douter qu’un beau jour vous tiendriez entre vos mains réjouies son quarantième numéro ! Depuis, au gré des idées et des bonnes volontés, la revue, qui se présente depuis octobre 2019 sous les atours chatoyants d’une nouvelle maquette, s’est enrichie de nouvelles rubriques : « Maux médiatiques », « Loquace et local », « En roue libre », « Des lectures »… Elle s’est aussi étoffée, pour atteindre 48 pages. Elle a gardé son rythme de parution trimestriel, mais elle a surtout gardé son âme, ses objectifs et sa raison d’être : contribuer à diffuser nos analyses, nos critiques et nos propositions, et alimenter le débat sur la question médiatique.

La fin d’année s’annonce en effet faste et festive pour Acrimed. Si le magazine célèbre ses dix ans, l’association fête quant à elle ses vingt-cinq ans d’existence ! Qui dit fête dit cadeau, et nous en avons un, de taille : le 12 novembre prochain sortira en effet un nouveau livre d’Acrimed, aux éditions Adespote, Les Médias contre la rue, 25 ans de démobilisation sociale. Un livre à la fois lourd (250 pages) et léger, qui témoigne du chemin parcouru et des travaux accomplis sur notre terrain d’observation « favori » : la maltraitance médiatique des mouvements sociaux. Un cadeau à 18 euros, à offrir, à s’offrir, sans modération !

Parallèlement, notre association s’est déployée sur les ondes. En juillet est née une émission de radio mensuelle, hébergée par Cause Commune (93.1 en Île-de-France, en ligne partout ailleurs), dont les contenus sont également à retrouver sur la plateforme de podcasts critiques « Spectre ».

Nous continuons bien évidemment de mener le combat dans les manifestations, en organisant des événements publics, et en alimentant le site avec des articles réguliers : pas question de baisser la garde, en particulier en cette année d’élection présidentielle… Polarisés par un agenda toujours plus (extrême) droitier, banalisant les idées fascisantes d’Éric Zemmour, abordant la campagne présidentielle comme une course de chevaux où l’on parie sur des tuyaux crevés fournis à jet continu par les sondeurs, les grands médias piétinent chaque jour un peu plus leur mission d’information. Face à ce rouleau compresseur, nous comptons sur vous pour poursuivre et mener à bien nos activités : n’hésitez pas à faire un don ou à adhérer à l’association !

Dans ce numéro un peu spécial, vous n’en trouverez pas moins votre dossier habituel, cette fois consacré au traitement du travail et des travailleurs. Une question qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne fait pas la Une des grands médias, et qui, quand elle est traitée, l’est souvent très mal : journalisme de classe, poids de la doxa libérale et mépris du pluralisme, culte de la « valeur travail », fait-diversification de l’information, invisibilisation des classes populaires et des métiers qu’elles exercent, suivisme à l’égard du pouvoir politique et des politiques patronales, etc. Autrement dit, une loupe grossissante des tendances médiatiques dominantes...

 


ET SURTOUT... ABONNEZ-VOUS !


Ce numéro ne sera pas plus diffusé en kiosques que les précédents. Vous pourrez cependant le trouver dans quelques rares – mais d’autant plus précieuses – librairies listées plus bas, ainsi que sur notre boutique en ligne.

Et surtout, abonnez-vous ! Pour cela, rendez-vous sur notre boutique en ligne, ou remplissez le bulletin en pdf et renvoyez-nous le avec un chèque. Vous pouvez également nous soutenir en adhérant à l’association ou en faisant un don.

A Lyon, vous pouvez trouver Médiacritiques en vente dans les librairies suivantes :

 69 (Rhône)
Le Bal des Ardents
17 rue Neuve 69001 Lyon

La Gryffe
5 rue Sébastien-Gryfe 69007 Lyon

Terre des Livres
86 rue de Marseille 69007 Lyon

jeudi 7 octobre 2021

EN SOUTIEN AU JOURNAL INDÉPENDANT "MÉDIACITÉS"

Nous avons besoin de 2 000 nouveaux abonnés avant la fin de l’année ou nous cesserons de publier en 2022

 Les enquêtes que vous ne lirez pas ailleurs

Crise sociale, économique ou sanitaire, dérives des pouvoirs publics, solutions face aux enjeux de demain, il se passe des choses à l’échelle de votre ville. C’est ce que nous vous racontons chaque jour en enquêtant en toute indépendance sur ces sujets d’intérêt public : santé, environnement, économie locale, logement…


 

Nos 5 principes fondateurs

Nous croyons que le journalisme doit être un contre-pouvoir

Dans les grandes métropoles françaises, le pouvoir des élus s’est considérablement accru depuis les années 1980. Pourtant, les institutions locales sont de moins en moins transparentes, alors même qu’elles sont concernées par des affaires de corruption, d’absentéisme ou de détournement de fonds publics.

Mediacités fait vivre l’investigation en dehors de Paris, au plus près des grandes métropoles. Nos journalistes prennent le temps d’enquêter, de rencontrer des lanceurs d’alerte et d’éplucher des documents. Politique, environnement, économie, sport, santé, culture : nous vous aidons à comprendre les pouvoirs qui vous entourent.

Nous ne vous disons pas "ce qu’il faut penser"

Les enquêtes de Mediacités se basent sur des faits, sans parti pris. Si nos journalistes dénoncent les agissements d’un élu, d’une entreprise ou d’une collectivité territoriale, ils travaillent toujours à partir d’informations recoupées et vérifiées.

Vous savez comment nos journalistes mènent l’enquête : nous expliquons les coulisses de notre travail à la fin de nos articles. Et nous donnons toujours la possibilité aux personnes et institutions mises en cause de s’exprimer. De cette manière, vous pouvez vous forger votre propre opinion.

Nous refusons toute forme de publicité

Parce qu’elle crée un lien de dépendance entre l’annonceur et le diffuseur, nous croyons que la publicité est dangereuse pour les médias locaux. Comment publier une enquête gênante pour une institution ou une entreprise si l’on dépend de ses achats publicitaires ?

Chez Mediacités, vous ne trouverez aucune bannière, aucun cookie publicitaire, ni aucun article sponsorisé. Au contraire, nous sommes financés uniquement par les contributions de nos abonnés. Auxquelles s’ajoutent exceptionnellement les recettes tirées de partenariat éditoriaux avec des médias nationaux (France 2, Mediapart, etc). Et c’est tout.

Nous vous faisons participer à nos enquêtes

Chez Mediacités, nous pensons que vous avez bien plus à apporter qu’un commentaire au bas d’un article.

Nos journalistes lisent toutes les questions que vous posez sur notre plateforme Veracités et publient des articles pour vous répondre. Nous faisons également appel à vous à travers nos enquêtes collaboratives #DansMaVille : vos témoignages et votre expertise nourrissent les articles de Mediacités. Vous pouvez enfin nous faire parvenir des documents confidentiels, en toute sécurité, en utilisant notre plateforme Lanceur d’enquêtes.

Un média accessible et proche de vos préoccupations : c’est aussi ça que vous découvrez en vous abonnant à Mediacités.

Nous sommes transparents sur nos finances

Au capital de Mediacités, pas de grand industriel des télécommunications. Les 8 cofondateurs sont majoritaires et possèdent 56% de l’entreprise, tandis que 159 investisseurs particuliers se répartissent les 44% restants. Autrement dit : personne ne peut nous empêcher de publier une enquête.

Nous détaillons chaque année comment nous utilisons les revenus tirés des contributions de nos abonnés. Pour l’année 2020, par exemple, 81% de nos recettes ont financé les salaires de l’équipe (journalistes permanents et pigistes, fonctions marketing, technique et web). Le reste a servi financer les dépenses techniques pour faire fonctionner notre site web (8%), les frais marketing pour nous faire connaître (6%) et les frais administratifs et comptables pour être en règle (5%) !

 

Un média transparent et à votre écoute

Veracités

Posez des questions sur votre ville aux journalistes de Mediacités. Nous enquêtons pour vous et nous vous répondons sous la forme d’un article.

#DansMaVille

Enquêtez avec nous sur les enjeux de nos métropoles. Nos journalistes utilisent vos témoignages et votre expertise pour réaliser des articles et vous proposent des événements locaux.

La Fabrique

Découvrez les coulisses de Mediacités. Un espace pour vous raconter la construction de notre média et vous expliquer comment nous enquêtons dans votre métropole.

Nous avons besoin de vous pour pouvoir enquêter

Financez un journalisme d’investigation à Lille, Lyon, Nantes et Toulouse. 100% indépendant, 0% de publicité.

Pour publier en 2022, il nous faut 2 000 abonnés de plus d’ici à fin décembre.

https://www.mediacites.fr/je-soutiens-mediacites/?mc_cid=37c2a08a02&mc_eid=3e3f8bd37a 

mercredi 6 octobre 2021

LIRE : "7 péchés capitaux de la police lyonnaise #7. Police partout, médias nulle part"

Nous reproduisons une analyse publiée sur le site de Rebellyon le 1er octobre 2021 qui met en lumière une certaine forme de "journalisme  de préfecture" dans la presse quotidienne lyonnaise.

Dans "Le Progrès" pour ne pas le nommer...

Loin des règles du métier (vérification des faits et confrontation des sources), la presse paresseuse se contente de copier les discours institutionnels et de relayer les fake news préfectorales. Le « quatrième pouvoir », en panne, participe pleinement à l’impunité policière.

Loin des règles du métier (vérification des faits et confrontation des sources), la presse paresseuse se contente de copier les discours institutionnels et de relayer les fake news préfectorales. Le « quatrième pouvoir », en panne, participe pleinement à l’impunité policière .

  

C’est une véritable faillite de l’appareil médiatique local. Le 7 mars 2020, pour l’acte 69 des Gilets jaunes, la police blesse gravement au moins 26 personnes en plein centre de Lyon. Le soir même, la presse locale et nationale titrera essentiellement sur les « 24 policiers blessés » et les commerces « saccagés par les black blocs ». La palme de l’indécence revient sans doute au Progrès qui, sur le coup de 19h, fait réagir les candidats aux municipales à propos de la «  violence qui frappe nos commerces » (essentiellement des banques). Les pensées du journal (propriété du Crédit mutuel), comme celles des candidats, vont aux familles des vitrines.

« Pref quotidienne régionale »

A 19h donc, aucune mention du « carnage » dans Le Progrès. Les deux journalistes présents pour couvrir la manif mentionnent seulement deux blessés parmi les manifestant-es, au milieu d’un récit qui fait la part belle aux « dégradations » et autres commentaires préfectoraux sur Twitter. Ce n’est que plus tard dans la soirée que l’article sera mis à jour avec la mention de 20 blessés parmi les manifestant-es. Ce chiffre, repris d’une dépêche de l’AFP, cite une première estimation (basse) réalisée par le Comité le soir-même. Après avoir passé sous silence les faits, la « presse paresseuse » pourra (au mieux) renvoyer dos à dos les blessés des deux camps, en n’oubliant pas de préciser que la préfecture n’admet, elle, que 3 manifestant-es blessé-es. Le hic, c’est que la préfecture a omis quelques précisions.

Fake news policières

Le Comité a pu se procurer un document policier : le « PV de contexte » de la manifestation. Seuls deux fonctionnaires sont annoncés comme blessés suite à des jets de projectiles entre 14h et 18h, durée de la manif. Puis, à partir de 18h30, chaque unité procède à de mystérieux décomptes. En une heure, 22 nouveaux blessés apparaissent sur le PV. Explication de ce miracle : 14 membres des forces de l’ordre, y compris la commissaire en charge des opérations, se plaignent d’ « acouphènes suite à tirs de mortier ». La CRS 29 dénombre à elle seule 9 acouphènes, une véritable épidémie, auxquels s’ajoutent un « choc au genou droit » non expliqué, un « talon d’Achille pied gauche » (la simple mention d’une partie du corps valant certificat de blessure) et une « douleur cervicale ». Au total, seuls 6 d’entre eux allèguent avoir été victimes de tirs de projectiles. Contrairement aux 26 blessures recensées par le Comité du côté des manifestant-es, aucune n’est grave. Mais peu importe : la com’ préfectorale a fait son chemin. Pour Nicolas Kaciaf, maître de conférences à Sciences Po Lille, ce type de situation peut renvoyer au « pouvoir de certains acteurs sur la production de l’information ». « Ce pouvoir se traduit par la capacité à faire dire aux journalistes ce qu’ils souhaitent, mais aussi dans la capacité à inhiber la publicisation de certaines informations », analyse ce spécialiste des médias.

Défaite des faits

L’ampleur de la déroute journalistique du 7 mars est certes exceptionnelle. Mais la reprise du discours officiel sans vérification constitue malheureusement une habitude. Le 1er mai 2021, Le Progrès cite 7 fois le fil Twitter de la préfecture (source de vérité visiblement incontestable) dans son article de 4000 signes. Il a pourtant dépêché une journaliste et un photographe sur place. Résultat : mention de 27 policiers blessés, quand le récit du « PV de contexte » n’en cite que deux. Mieux : le 16 janvier 2021, lors d’une manifestation contre la loi sécurité globale (LSG) partie de Villeurbanne, France 3 annonce sans sourciller : « environ 1500 personnes ont participé à cette marche qui les a conduit jusqu’à la place Bellecour ». Problème : bloqués par la police, les manifestant-es n’ont jamais pu atteindre le centre-ville. Avec une moyenne de plus d’une grenade lacrymogène par minute, la police n’aura pas enfumé que les manifestant-es…

Chroniqueur judiciaire ou policier-journaliste ?

Février 2021. Richard Schittly, journaliste vedette du Monde à Lyon, rend compte du procès des policiers poursuivis pour le tabassage d’Arthur, le 10 décembre 2019. Il reprend le chiffre préfectoral de «  22 policiers et 3 manifestants blessés », sans préciser qu’aucun des fonctionnaires n’ira aux urgences, contrairement aux trois manifestants. En dépit des images-preuves qui tournent en boucle sur la toile, le « journal de référence » présente Arthur comme une victime de violences policières « présumées ». Le journaliste raconte l’agression : « Une vidéo montre un groupe de la BAC acculé contre un mur [...] avec des syndicalistes CGT qui tentent fermement de dissuader les manifestants d’aller au contact. On distingue la silhouette d’Arthur Naciri qui les contourne, se faufile et s’approche des policiers, avant d’être happé par un fonctionnaire ». Les nombreux policiers présents dans la salle d’audience, auxquels le journaliste n’a cessé de serrer les mains, lui ont-ils suggéré cette version ? Non, répond-il : « J’ai tout simplement visionné la vidéo et j’ai essayé de la décrire au plus près de la réalité ». Pourtant, même l’IGPN produit une version plus favorable à la victime. L’enquête conclut : alors que «  la physionomie des lieux était plutôt calme », Arthur « avait dû contourner » les policiers. Au moment de son agression, il était en train d’ « applaudi[r] aux propos [d’]un syndicaliste ». Conclusion : ou Le Monde assume des partis-pris pro-police, ou il se préoccupe peu de la qualité des informations publiées par ses correspondants.

« Impunité médiatique »

La situation est d’autant plus problématique que, comme le souligne Nicolas Kaciaf, il existe une forme d’ « impunité médiatique ». « Lorsque certains groupes ou individus peuvent se soustraire aux règles communes, et donc échapper aux sanctions associées à leur transgression, c’est d’abord parce que leurs déviances échappent à la visibilité publique », explique le sociologue. A l’instar du journaliste vedette, les médias se sont largement intéressés au tabassage d’Arthur par la BAC. Mais pour parler de quoi ? Pour l’instant, le cœur politique du dossier est resté sous les radars : le chef d’état-major de la police lyonnaise, chargé entre autres du « pôle déontologie », a menti à l’IGPN et couvert les agresseurs de la BAC. En décembre 2020, le Comité révèle la contradiction entre un PV de la police (qui affirme ne pas connaître l’origine des blessures d’Arthur) et la vidéo qui prouve le contraire. Conséquence : mutisme dans les rédactions !

Dans un reportage, France 3 interroge brièvement le «  silence de la hiérarchie » mais ne revient pas sur les faits. Un membre de la chaîne, questionné par le Comité à l’époque, explique que la police ayant refusé de communiquer, la rédaction ne veut pas évoquer le sujet. Il suffit donc à la préfecture de se taire pour que France 3 en fasse de même : courage, fuyons ! En février 2021, la chaîne finira par revenir plus en détail sur le sujet, mais toujours sous la forme interrogative, en dépit des faits en sa possession. Rue89Lyon mentionne le PV de police, mais ne le confronte pas à la vidéo qui prouve qu’il est lacunaire. Faute de temps pour creuser le sujet, dixit la rédaction. Seule l’AFP relève et affirme (discrètement) la contradiction entre les deux documents.

Faire « l’actu », ou la subir ?

Les autres rédactions, au premier rang desquelles Le Progrès, resteront totalement muettes sur l’affaire. Une journaliste du quotidien régional défend sa rédaction : «  Il n’y a pas de censure ou de consigne, c’est juste que personne ne s’est emparé de l’affaire. Il faut dire qu’il y a eu [...] un plan social il y a deux ans. Les journalistes des faits divers ne sont plus que trois contre six auparavant ». Il reste que, même effectués par défaut, ce sont bien des choix rédactionnels qui sont en cause : Rue89Lyon, qui a la plus petite rédaction, est aussi le journal qui a couvert le sujet de la façon la plus complète. Nicolas Kaciaf pointe encore un autre mécanisme susceptible de contribuer à l’autocensure : « beaucoup de journalistes restent prudents parce qu’ils craignent une rupture des relations avec les sources institutionnelles – qui, dans le cas de la police, sont d’autant plus précieuses qu’elles sont loquaces, et qu’elles permettent d’alimenter régulièrement les rubriques ’fait divers’ ».

Le plus remarquable dans l’affaire Arthur, c’est que plusieurs journalistes ont eu accès au dossier de l’enquête, et donc à l’audition du commissaire menteur. Mais aucun n’a pour l’heure raconté cette histoire. « Pour nous, c’est trop tôt pour parler de ça, on pourra le faire quand ce sera débattu à l’audience, il faut qu’on le rattache à une actu », explique une journaliste de France 3. Le problème, c’est que la justice, focalisée sur la responsabilité des auteurs des coups, risque fort de passer l’échelon hiérarchique sous silence… le jour, d’ailleurs, où elle se prononcera ! Depuis décembre 2019, l’affaire attend donc patiemment qu’un média s’en empare. Pendant ce temps, le commissaire menteur continue de jouer au déontologue. Merci qui ?