mardi 1 novembre 2011

Entretien : T.I.N.A. (THERE IS NO ALTERNATIVE) - UNE BRÈVE HISTOIRE DE LA CRISE


T.I.N.A. (THERE IS NO ALTERNATIVE)
UNE BRÈVE HISTOIRE DE LA CRISE
SÉBASTIEN VALIGNAT / SIMON GRANGEAT / COMPAGNIE CASSANDRE



Une fois n’est pas coutume, Acrimed 69 se mue en reporter…
À l’occasion des deux prochaines représentations à Lyon de la pièce T.I.N.A. (8 et 10 novembre au Nouveau Théâtre du 8ème, 22, rue du Commandant Pégout à Lyon 8ème, métro ligne D arrêt Bachut), pièce très chaudement recommandée par l’antenne lyonnaise d’Acrimed, nous avons voulu en savoir plus.
Nous avons donc proposé à l’un des auteurs qui est également acteur dans la pièce, Sébastien Valignat, de nous en expliquer sans concession les tenants et les aboutissants…
En effet, son sujet (la crise financière) est peu traité sur le plan dramatique alors même que c’est un sujet carrément dramatique… !!
Le paradoxe laisse sans voix… Merci à SV de nous prêter la sienne.


Acrimed 60 : De quoi parle votre pièce T.I.N.A. ? Peux-tu la présenter en quelques lignes (ou plus) ? Et  d’où vient l’idée de départ ?

SV : En 2008, je me suis demandé comment quelques ménages américains aux revenus modestes avaient pu, en achetant des maisons qu’ils n’avaient pas les moyens de se payer, déstabiliser l’économie mondiale.
Je me suis dit : c’est la crise du rêve américain.
J’ai entendu les économistes s’inquiéter ; tous les jours, à la radio, on me parlait des Dow-Jones qui tombent et des CAC qui chutent et des NASDAC qui « krachent ».
Je ne comprenais pas à quoi correspondaient ces chiffres mais on me disait que c’était grave et j’y croyais. Et j’avais raison d’y croire parce que c’était grave. Et maintenant je me dis que j’aurais même dû y croire un peu plus, parce que c’était plus grave que ce que je croyais.
On m’a dit c’est la crise. On m’a dit c’est la crise et c’est pour longtemps. On m’a dit c’est la crise la plus grave depuis 29. On m’a dit que 29, ça avait mené à Hitler, et qu’il fallait faire très attention.
Et j’ai vu les décideurs politiques de tous les pays bredouiller, se contredire, changer d’avis. Et j’ai entendu « C’est le retour de Keynes » et « Marx n’est pas mort ! » Et j’ai vu un président noir à la Maison blanche parce que l’autre candidat était nul en économie. Et j’ai entendu notre président nous dire que la solution pour sortir de la crise, c’était de revenir à la morale. Et je me suis dit que si c’était la morale qui pouvait nous sortir de là, on était mal barré…
Et puis j’ai vu tous les hommes politiques du monde voler au secours des banques. J’ai entendu parler de milliards d’euros qui allaient renflouer le système bancaire, et je me suis demandé d’où venait cet argent puisqu’on ne cessait de me répéter que les caisses étaient vides...
Et puis, bien plus tard, j’ai vu les citoyens grecs renoncer à tous leurs acquis sociaux, et je les ai vus dans la rue. Et j’ai entendu : « Ces gens sont des PIGS, on ne peut pas leur faire confiance. Ils ont chanté tout l’été, ils vont danser maintenant. » Et j’ai vu des athéniens hisser une banderole sur l’acropole : « Peuple d’Europe, soulevez vous. »
Alors j’ai appelé quelques amis artistes qui, eux aussi, avaient sans doute vu les mêmes choses que moi (Gaelle Dauphin, scénographe, Vincent Fouquet comédien, Simon Grangeat auteur, metteur en scène et Guillaume Motte Comédien). Et nous avons fait ce pari : créer un spectacle de théâtre documentaire qui raconterait cette crise que nous traversons, qui tenterait dés‑expertiser l’économie et, peut-être, d’aider les spectateurs à se réapproprier une partie de l’espace démocratique qu’on leur a confisqué.

Acrimed 69 : N’y-a-il pas d’autres textes ou pièces de vulgarisation sur l’économie ?

SV : Il ne s’agit pas seulement de vulgarisation, car sans nier son importance, la vulgarisation scientifique a ses limites, notamment lorsque ce que l’on cherche à communiquer touche à des questions de société. Pour reprendre l’exemple de Gérard Noiriel : « On peut mobiliser toutes les études du monde pour démontrer la stupidité du racisme, on ne parviendra pas pour autant à convaincre ceux qui l’alimentent d’abandonner leurs préjugés, pour être efficace il faut parvenir à susciter le doute chez le spectateur, ébranler ses certitudes pour provoquer en lui le besoin d’en savoir plus. »  C’est pour cela que nous avons voulu passer par le prisme du théâtre. « Ce qui est prouvé par la recherche doit être éprouvé par le public ».
Concernant les autres pièces de théâtre parlant de notre actualité, je n’ai bien sûr pas une connaissance exhaustive de la littérature dramatique internationale, mais je ne vois que la pièce de Frédéric
Lordon – économiste, directeur de recherche au CNRS et journaliste au monde diplomatique – : D’un retournement à l’Autre,  « comédie sérieuse sur la crise financière  » qui aussi tente de donner une forme sensible et théâtrale à notre actualité économique. Mais je ne serai pas surpris que du coté de l’éducation populaire, il y ait des « conférences gesticulées » portant un regard critique sur ces évènements avec des objectifs similaires aux nôtres.

Acrimed 69 : L’écriture de cette pièce a fait de toi et de vous des économistes, des experts en novlangue libérale (forcément en langue anglaise), celle des journaux d’affaire, des traders, des businessman ?

SV : N’exagérons rien. Quand nous avons commencé le travail d’écriture avec Simon Grangeat, il a fallu nous plonger dans cet univers qui nous était complètement étranger qu’est l’économie. Et c’est vrai que nous avons acquis une certaine familiarité avec un champ lexical qui nous était inconnu  Crédit Défault Swap, Collateralized Debt Obligation, vente à découvert, alea moral …
Mais nous avons travaillé essentiellement à partir de travaux de vulgarisation (de Frédéric Lordon que je citais tout à l’heure par exemple) et nous ne sommes pas devenu économistes pour autant !!! Mais  nous avons fait notre possible pour être irréprochables d’un point de vue scientifique ; à la fin du travail d’écriture, Benjamin Coriat, professeur d’économie à Paris XIII, Christian Chavagneux rédacteur en chef d’Alternatives économiques, et Paul Jorion Anthropologue spécialiste de la crise des subprimes, ont eu la gentillesse de relire notre texte afin que nous soyons sur de ne pas avoir commis d’erreurs scientifiques. Je profite de votre question pour les en remercier à nouveau aujourd’hui.

Acrimed 69 : Comment la pièce est-elle reçue par le public ? Quelles sont les réactions les plus intéressantes ou les plus insolites ?

SV : Les comédiens ne sont pas les mieux placés pour juger des réactions du public ; on vient plus souvent nous parler pour nous dire qu’on a passé en bon moment que pour nous descendre. Mais je ne pense pas mentir en disant que la pièce a été globalement bien reçue. À mon avis cela est dû,  au plaisir de se faire raconter collectivement notre Histoire commune.
Chacun de nous est souvent choqué par ce qu’il lit ou qu’il regarde, dans les médias, mais nous avons, somme toute, peu d’occasions d’en parler. Et je pense que le théâtre est un art intéressant pour parler de ces sujets-là, en ce sens qu’il est vécu comme une expérience collective plus forte que le cinéma par exemple – je ne dis pas que le théâtre est une expérience plus forte,  mais l’expérience est plus collective. Les spectateurs participent malgré eux au moment théâtral. Au cinéma, j’aime être seul dans la salle, au théâtre j’aime que la salle soit pleine. Et il y a sans doute une jubilation à cette expérience collective, et devient l’occasion d’en discuter après.
Un retour qui nous revient assez souvent et qui m’a fait très plaisir, c’est que les gens viennent nous voir, heureux d’avoir compris ce qu’il s’était passé. Qu’ils se rendent compte que - même si il y a des détails assez complexes - la structure qui fait tourner la machine elle n’est pas si compliquée.
Il y a aussi beaucoup de spectateurs, qui avouent être venus un peu à reculons « Mon dieu une pièce sur l’économie, ça va être ennuyeux » et qui ont été surpris par la forme du spectacle : nous nous plaçons franchement dans le registre de la comédie, et la finance internationale, à elle seule nous donne les moyens de basculer dans l’absurde.
Enfin, il y a beaucoup de gens qui viennent pour nous dire, «  Oui d’accord, on compris pourquoi ça a planté, mais maintenant qu’est-ce qu’on fait ? ».
C’est pour cela que nous allons organiser après le spectacle, un temps d’échange avec le public, où la parole partirait du public et où les spectateurs pourraient donner leurs réactions, leurs avis et éventuellement poser des questions à un économiste qui serait présent spécialement pour y répondre.

Acrimed 69 : Avez-vous l’intention de poursuivre dans la même veine, avec d’autres pièces ou d’évoluer vers d’autres contenus ?

SV : Le processus d’écriture nous a amené à raconter la crise jusqu’au krach de 2008. Et au premier sauvetage du système. Aujourd’hui, il nous semble nécessaire de poursuivre le processus d’écriture et d’écrire la suite de l’histoire de 2008 à aujourd’hui : comment les banques sauvées par les états, les ayant considérablement affaiblis à cause de la crise qu’elles avaient engendrées, se sont mis à spéculer sur eux les affaiblissant, engendrant les plans d’austérité, le risque d’éclatement de la zone euro… bref, j’espère que cette pièce sera inscrite au plus possible dans notre présent.

Acrimed 69 : La pièce est visible où et quand ?

SV : La première étape de travail qui sera présentée les 8 et 10 novembre à 20H au nouveau théâtre du 8e, raconte la première partie de la crise, reprenant les mots de l’économiste André Orléan, nous l’avons baptisée : L’aveuglement au désastre. Elle raconte pourquoi personne (ou presque) n’avait anticipé la crise des subprimes et sera suivie d’une discussion avec le public ou les spectateurs pourront poser à des économistes (« économistes atterrés » probablement) toutes les questions qu’ils désirent, ceux-ci s’efforceront d’y répondre dans la limite de leurs compétences.
La création complète est prévue pour l’automne 2012.

Infos pratiques :
Réservations : 04 78 78 33 30 ou communication@nth8.com
Le site du théâtre
http://www.nth8.com/index.php?page=1010000

1 commentaire :

julio a dit…

La croissance ne permettra pas de réduire réellement le chômage ni amélioré le pouvoir d’achat des ménages ! Il y a vingt ans un couple d’ouvriers avec deux salaires vivez encore bien. Aujourd’hui la rupture entre le monde du travail et le reste de la société et consommer, les ouvriers ou petits employés même avec deux salaires ne gagne même pas trois mille euros. Nous vivons un bouleversement que nous ne métrisons pas. Et qu’on ne nous raconte pas de connerie, même les ingénieurs des nouvelles technologies sont mal payés. Le monde de la finance et de la spéculation détruit tous les efforts. Le problème et que beaucoup de gens non pas encore prit conscience qu’ils ne progresseront plu en allant travail en usine. Il faut trouver un autre chemin pour nous construire comme citoyen que de croire dans le travail routinier en entreprise. Nos intellectuels nos penseurs doives nous cherché d’autres formules de vivre ensemble le travail n’est plus le lient social de notre société !