CHRONIQUE “MA VIE AU POSTE” − Questions convenues, absence de contradiction et partis pris en faveur de “Français” qui seraient excédés par le mouvement social… Dans les 13 heures de TF1 et de France 2, face à Marie-Sophie Lacarrau et Julian Bugier, c’est peu dire qu’Emmanuel Macron n’a pas été mis en difficulté. France 2 a même confié l’analyse de son intervention à quatre partisans de la réforme des retraites.
Pascale de La Tour du Pin appelle une envoyée spéciale sur le marché du Bourget : « Qu’attend-on de la prise de parole d’Emmanuel Macron ? — Pas d’intérêt, pas d’attente, pas d’espoir. » Je suis au comble de l’excitation. « On a beaucoup de mal à trouver des gens qui vont se mettre devant leur télévision à 13 heures. » Normal, on est en Seine-Saint-Denis et le président a choisi de parler à 13 heures pour s’adresser aux provinciaux qui, c’est connu, déjeunent tous devant les JT de TF1 et France 2. La reportrice interroge un poissonnier : « Vous allez écouter le président de la République ? — Non, pas du tout. — Pourquoi ? — Parce que ça m’intéresse pas. De toute façon, il va rien dire. » Ce poissonnier a la même capacité d’analyse qu’Amandine Atalaya, il pourrait être éditorialiste sur BFMTV – il y gagnerait en termes de pénibilité. « Vous pensez que cette interview ne changera rien ? — Ah non, ça changera rien. — Vous pensez qu’il va réussir à calmer la colère sociale ? — Non, non. — Il faudrait faire quoi ? — Qu’il enlève cette réforme. » Et puis quoi encore ? Qu’il démissionne ?
La présentatrice appelle un autre envoyé spécial : « Au dépôt de poubelles d’Issy-les-Moulineaux, qu’attend-on de la parole d’Emmanuel Macron ? — Strictement rien. C’est ce que nous ont expliqué les délégués CGT et FO. » Ça s’annonce palpitant. J’en veux déjà à mes chefs qui, lors de la réunion du matin, m’ont pressé de regarder cette interview pour rien. Ils veulent vraiment que je commente du vide ?
Heureusement, pour remplir le vide, je peux compter sur Nathalie Saint-Cricq. Juste avant que démarre l’interview, Nathanaël de Rincquesen invite l’éditorialiste de France 2 à décrypter « une phrase d’Emmanuel Macron prononcée hier : “La foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime à travers ses élus.” — L’idée, c’est de dire que, confronté aux images qu’on voit, des feux, des poubelles qui brûlent, des gens qui agressent les policiers, il considère que c’est la foule, une espèce de magma indifférencié ». Une espèce d’atroce magma séditieux antiflics. « Des gens dont il considère qu’ils veulent semer la discorde dans le pays. » Alors que lui s’emploie à établir la concorde. « Il oppose ça à l’idée de peuple qui serait tous les Français bien propres, qui se tiennent bien et qui eux s’exprimeraient par le biais de leurs représentants. » Et de leurs éditorialistes bien propres. « Donc il discrédite le mouvement pour rassurer les Français. » Le mouvement social n’est pas animé par des Français mais par un magma indifférencié de nationalité indéterminée.
« Cette phrase est-elle adaptée à la situation ?, demande le présentateur. — Oui, répond Nathalie Saint-Cricq. Elle est adaptée à la situation quand on veut justifier ce qu’on fait, qu’il n’y a aucune raison de considérer que cette loi sur les retraites ne doit pas passer. S’il disait le contraire, ce serait la porte ouverte à tous les dérapages. » Au magma des pyromanes agresseurs de policiers.
L’interview démarre, Marie-Sophie Lacarrau, de TF1, a le privilège de poser la « première question : est-ce que ce texte [de la réforme des retraites] entrera en application au 1er septembre ? — Ce texte va poursuivre son chemin démocratique ». Grâce à la foule des élus bien propres. « On va parler de la crise sociale », enchaîne Julian Bugier. Il l’interroge sur sa phrase, « la foule n’a pas de légitimité », l’écoute attentivement non sans faire preuve d’un cinglant sens de la repartie : « Ouais », « oui », « ouais », « oui », « hum », assène-t-il en hochant la tête en signe d’approbation.
Comme promis, le président joue l’apaisement : « Des groupes utilisent l’extrême violence, sans règle… Quand les États-Unis ont vécu ce qu’ils ont vécu au Capitole, quand le Brésil a vécu ce qu’il a vécu… On ne peut accepter ni les factieux ni les factions. » Tous ces suprémacistes d’extrême droite qui chaque soir prennent d’assaut l’Assemblée et l’Élysée… Les intervieweurs ne tiquent pas, Marie-Sophie Lacarrau se contente de préciser : « Vous faites référence aux débordements. » Des putschistes de l’ultradroite.
Le président s’auto-interroge, c’est plus pratique. « Est-ce que vous pensez que ça me fait plaisir de faire cette réforme ? — Dites-le nous. — Non. Ça ne me fait pas plaisir, j’aurais voulu ne pas la faire. » Pauvre président, obligé de faire une réforme contre son gré. Pour la justifier, il sort un carton dissimulé sur ses genoux : « Regardez, vos collègues du Parisien avaient fait cette petite infographie. » Miracle de la télévision, l’infographie apparaît illico plein écran.
« Regardez, tous les autres pays d’Europe sont entre 65 et 67 ans. » Je le reconnais, ce graphique : c’est celui que toutes les chaînes n’ont cessé de brandir depuis deux mois. Celui qui indique seulement l’âge de départ mais ne précise pas la durée de cotisation (souvent inférieure à 43 ans), qui omet de mentionner l’existence retraite par capitalisation dans la plupart de ces pays, qui fait l’impasse sur des taux de pauvreté des retraités bien supérieur à celui des Français.
Marie-Sophie Lacarrau demande : « On entend vos arguments mais pourquoi vous n’avez pas été compris ? » Parce que les Français sont trop cons ? « La pédagogie, vous la faites depuis le début », rappelle Julian Bugier, rejoint par Marie-Sophie Lacarrau : « Vous pensez l’avoir mal expliquée [la réforme] ? » C’est bien un problème de pédagogie. « Vous n’avez commis aucune erreur ? — De ne pas avoir réussi à convaincre, répond le président. Il y a une tendance dans nos démocraties à vouloir s’abstraire du principe de réalité. » C’est confirmé, les Français sont trop cons, ils ne veulent pas admettre la réalité.
« Voilà pour la pédagogie, conclut Julian Bugier. Est-ce que vous craignez un embrasement ? Les Français subissent les ordures qui s’amoncellent, les stations essence avec des queues, les blocages. » Pauvres Français pris en otages par les grévistes – qui, rappelons-le, ne sont pas Français. « Les violences, il faut les condamner, insiste le président. Je l’ai dit, les factieux et les factions… » Les suprémacistes blancs, les trumpistes, les néonazis, les bolsonaristes, etc. Marie-Sophie Lacarrau s’impatiente : « À quand un retour à la normale, un retour à l’ordre ? » Il fait quoi, Darmanin ? Il est temps d’intensifier les violences policières et les interpellations arbitraires, pardon, les « arrestations préventives », comme on dit sur BFMTV. « Les Français commencent à se lasser. » Ça va, on a compris, les opposants à la réforme ne sont pas Français. Le président déplore : « Il y a des Français qui ne contestent pas la réforme mais qui disent : “Nous, on veut plus travailler du tout.” » Bande de feignasses, en plus d’être idiots.
Emmanuel Macron pavoise : « Jamais les smicards n’ont autant vu leur pouvoir d’achat augmenter. » Ce qui est absolument faux si l’on compare l’augmentation de leur salaire à celle de l’inflation. Mais Julian Bugier préfère compatir : « Pourquoi les Français ne perçoivent pas les réussites que vous énumérez ? » Les Français sont vraiment très cons. « Est-ce que vous avez le sentiment d’avoir raté quelque chose ? », demande Julian Bugier, devançant les éléments de langage du président : « Vous dites qu’à part vous, les autres proposent rien. » Ils sont trop nuls.
L’interview est terminée. Pour la « décrypter », France 2 convie Nathalie Saint-Cricq et Dominique Seux, deux groupies du président et de sa réforme. Un premier constat s’impose : « Il a semblé tendre la main aux syndicats. » Dans les rêves des éditorialistes. Pour compléter le panel, France 2 fait appel au dirigeant d’un syndicat de patrons, François Asselin, partisan de la réforme. Après quoi « nous retrouvons un patron, un restaurateur favorable à cette réforme… Directement concerné parce qu’il y a des poubelles qui s’accumulent devant son établissement ». Les travailleurs qui devront travailler deux ans de plus ne sont pas concernés si les poubelles ne s’accumulent pas devant chez eux. Le restaurateur : « Y a énormément de poubelles, y a des violences, y a du feu. » Allumé par les factieux des factions.
Retour à Nathalie Saint-Cricq : « Ce qui va être intéressant, c’est de voir si l’opinion croit en cette réforme, croit qu’elle était nécessaire, douloureuse mais absolument impossible à éviter… » De voir si des millions de manifestants vont défiler en faveur de la réforme. « … S’ils sont convaincus des avancées qu’on va faire. » « On » ? Nathalie Saint-Cricq s’inclut dans le gouvernement ? « Y avait pas de mea culpa, le président était offensif. Probablement que la main tendue aux syndicats risque d’être sans effet. » Ils ont la frousse de la main tendue offensive.
Pour entendre un autre point de vue, je zappe sur BFMTV. « Le choc démographique, il est là, alerte Roselyne Bachelot. Le président a eu raison de les répéter, les chiffres sont parlants et ils sont même optimistes. Ça a été très peu pris en compte dans les prospectives, je parle en tant que docteure en pharmacie, il y a dans les cartons de l’industrie pharmaceutique et des chercheurs des révolutions absolument bouleversifiantes qui vont augmenter l’espérance de vie. » Ajoutez les exosquelettes dont sont équipés les couvreurs, c’est à 164 ans qu’il faudrait fixer l’âge de départ à la retraite.
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