Nous publions une tribune collective, signée par des étudiants, des journalistes, des universitaires et des organisations dont Acrimed, qui dénonce les dispositions liberticides de la loi « relative à la sécurité globale ». En particulier son article 24, qui prévoit de sanctionner la « diffusion du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de police ».
« J’avais fait une promesse, qui était celle de ne plus pouvoir diffuser les images des policiers et des gendarmes sur les réseaux sociaux. Cette promesse sera tenue puisque la loi prévoira l’interdiction de la diffusion de ces images », résume Gérald Darmanin, interrogé par Jean-Jacques Bourdin sur la proposition de loi relative à la sécurité globale.
Ce texte, les député·e·s LREM sont pressé·e·s de le faire passer, sans doute craignent-ils une levée de boucliers légitime pour défendre la démocratie. Sinon comment pourrait-on expliquer que cette loi fasse l’objet d’une procédure accélérée ? Quelle urgence, en plein confinement, justifie cette attaque liberticide ?
Déjà, en février dernier, Mediapart révélait que Christophe Castaner, à l’époque encore ministre de l’Intérieur, envisageait de « contrôler la diffusion de vidéos montrant les violences policières », reprenant ainsi les revendications des syndicats de police les plus liberticides. L’information avait déjà fait à l’époque bondir les défenseur·se·s des libertés publiques. Le ministre de l’Intérieur avait alors nié étudier une telle loi, affirmation pourtant démentie quelques heures après par ses propres services.
Quelques semaines après, en mai, c’était au tour des député·e·s LR, Éric Ciotti en tête, de ressortir cette idée du placard. Sans succès.
Cette fois-ci, le texte pourrait bien être adopté. Derrière cette nouvelle attaque contre les libertés fondamentales, les député·e·s LREM, dont Christophe Castaner et Jean-Michel Fauvergue, deux ténors de la majorité présidentielle. Le gouvernement est clair, la proposition liberticide.
L’article 24 prévoit en effet « un an d’emprisonnement et une amende de 45.000 € » pour sanctionner la « diffusion du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de police dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ».
Nous, journalistes en devenir, professionnel·le·s de l’information, syndicats de journalistes représentatifs de la profession, associations de défense des droits humains, avocat·e·s et usagers des médias, tenons à alerter l’opinion publique sur de telles menaces. Il en va de la liberté de la presse et, plus largement, du droit d’informer et d’être informé·e.
En effet, un flou persiste sur cette notion d’« intention » de « nuire à l’intégrité physique et psychique ». Cette partie de la loi vise sans doute à tenter de rassurer, mais nous sommes nombreux à ne pas être dupes.
Toutes les personnes qui ont déjà filmé et photographié les forces de l’ordre le savent : ces dernières s’opposent régulièrement, souvent violemment, à la captation de leur image. Agressions, intimidations, garde à vue, destruction du matériel : les exemples ne manquent pas, les victimes sont nombreuses.
Pourtant, à ce jour, aucune loi particulière ne donne raison à de tels agissements : les forces de police et de gendarmerie n’ont pas de droit à l’image particulier lors des manifestations. Mais ne soyons pas naïfs, cette nouvelle disposition ne pourra que rendre l’opposition de la police encore plus systématique, plus violente, peu importe le sens souhaité par le législateur.
Les dérives possibles avec un tel arsenal juridique sont inquiétantes. On connaît la puissance d’instrumentalisation et de lobbying des syndicats de police. Si cette loi passe, qui peut affirmer que ces derniers n’exigeront pas des réseaux sociaux la censure de toute image d’abus policiers ? Un tel scénario est d’autant plus à craindre que la loi française rend ces plateformes responsables des images « manifestement illicites » qu’elles ne censureraient pas après signalement.
Nous le savons tous : Facebook , YouTube et Twitter n’iront pas jusqu’au procès, ils préfèreront supprimer toutes les images désignées comme potentiellement sensibles. Vidéos de violences policières comprises, bien évidemment.
Or, sans ces vidéos, la réalité des abus policiers resterait trop souvent invisibilisée, niée dans son existence même. Trop souvent, elle l’a été dans les quartiers populaires d’abord, puis dans les cortèges ou dans les différents lieux d’expression politique.
Ce sont nous, étudiant·e·s en journalisme, journalistes de terrain, associations de défense des droits et observateur·rice·s régulier·e·s de la police, qui les documentons et participons à les visibiliser, via nos enregistrements, d’abord diffusés sur les réseaux sociaux puis repris par les médias traditionnels.
Les violences policières existent, nos images les attestent, les rendent réelles aux yeux de l’opinion. Ce alors même que les autorités françaises nient leur existence et persistent, une nouvelle fois, à vouloir invisibiliser.
C’est ce contre-pouvoir, nécessaire en démocratie, que le gouvernement et sa majorité parlementaire souhaitent enlever aux citoyen·ne·s, aux journalistes encore soucieux de dénoncer ce qui ne va pas dans nos sociétés. La police doit agir sous la surveillance des citoyen·ne·s. Même devant les smartphones ou les caméras, si le public le juge nécessaire pour notre démocratie.
Sans ces outils, sans celles et ceux qui les braquent, combien de violences policières auraient été passées sous silence ?
Bien souvent ces vidéos, qu’elles soient le fait de journalistes, de citoyen·ne·s ou directement des victimes des abus policiers, peuvent aussi constituer des éléments de preuve pour la justice, comme pour la mort de Cédric Chouviat ou d’Aboubakar Fofana.
Avec cette loi, et sans ces vidéos, qui aurait entendu parler de Geneviève Legay, militante pacifiste de 73 ans, gravement blessée à la tête dans une charge policière d’une violence inouïe ? Qui aurait entendu parler d’Alexandre Benalla si notre confrère Taha Bouhafs n’avait pas diffusé son visage sur les réseaux sociaux ?
Aujourd’hui, la priorité du gouvernement n’est pas de résoudre le problème du lien entre la police et le citoyen, mais de s’attaquer à la diffusion du message, en condamnant journaliste, manifestant.e ou habitant.e des quartiers populaires. Leur politique ? « Cachez ces violences policières que je ne saurais voir. »
Ne nous leurrons pas, ce projet de loi s’inscrit dans un contexte préélectoral où la majorité présidentielle court après les quelques voix sensibles aux arguments sécuritaires. En accédant aux demandes de certains syndicats de police, le pouvoir souhaite rendre toujours plus difficile l’accès à une information indépendante donc dérangeante, sur le travail de la police.
La force publique, au service de tous, doit être observable en tout temps, par toutes et tous ?
Dans un État démocratique respectueux du droit international et de la liberté d’informer, ce serait inutile.
Inutile de rappeler au pouvoir la nécessité de maintenir coûte que coûte ce droit, comme le répètent l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté de réunion et d’association ou encore la Fédération européenne des journalistes (FEJ) et le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), dans le code de la liberté de la presse pour la police.
Alors que les manifestations et leurs observateur·trice·s sont de plus en plus réprimé·e·s, nous nous inquiétons de voir le gouvernement céder à ce point aux sirènes liberticides lorsque celui-ci aurait dû se tenir au chevet des 2.500 manifestants blessés en 2019. Notons également que plus de 200 journalistes ont été empêché·e·s de travailler, blessé·e·s ou mis en garde à vue, depuis novembre 2018, lors d’opérations de maintien de l’ordre en France.
Filmer les agissements et les comportements des agents des forces de l’ordre, dans leur action, doit rester un droit ! Il en va de la liberté de la presse, de la liberté de manifester, de notre démocratie.
Liste des signataires :
Organisations : Syndicat national des journalistes (SNJ) ; SNJ-CGT, syndicat national de journalistes de la CGT ; Acrimed, association de critique des médias ; Ligue des droits de l’Homme ; Malik Salemkour, président de la LDH ; Pierre-Antoine Cazau, Observateur, président de la section de Bordeaux LDH ; Attac France ; Raphaël Pradeau, Aurélie Trouvé et Maxime Combes, portes-parole d’Attac France ; Peuple Révolté, Collectif de Convergence des Luttes ; Fondation Copernic
Les personnalités universitaires et en dehors du journalisme : Larrere Mathilde, historienne ; De Cock Laurence, historienne et enseignante ; Ludivine Bantigny, historienne ; Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS ; Silyane Larcher, chercheure au CNRS, Lévrier Alexis, MCF, historien de la presse ; Gilles J. Guglielmi, Professeur de droit public ; Pouget Grégoire, président de l’association Nothing2Hide ; Vergiat Marie-Christine, ancienne Eurodéputée ; Elliot Lepers, le Mouvement ; Smidt Chloe, observatrice des droits de l’homme ; Jérôme Graefe, juriste, observateur de l’Observatoire parisien des libertés publiques ; Avert Erik, universitaire ; Rain Simono, juriste
Rédactions et collectifs de photographes/journalistes : Collectif REC, Reporters en Colère ; Kelaouiñ, collectif de journalistes pour la liberté d’informer en Bretagne ; Collectif Presse-Papiers ; Société Des Journalistes de LeMédia TV ; La rédaction de Reporterre, La rédaction du journal Fakir ; La rédaction de Radio Parleur, le son de toutes les luttes ; La rédaction de La Meute , un média pour photographier le social ; La rédaction de Bastamag, média indépendant ; La rédaction de la Relève et la Peste ; Rapports de force ; Rue89Lyon ; Polka Magazine ; Collectif OEIL ; Tendance Floue, collectif de photographes ; Collectif Prism ; Primitivi, télévision de rue ; La Mule du Pape, média indépendant ; Collectif Gerda
Signature journalistes : Taha Bouhafs, journaliste à Là-bas si j’y suis ; Valentin Gendrot, auteur de “Flic” ; Soudais Michel, Rédacteur en chef adjoint de Politis ; Debove Laurie, rédactrice en chef de La Relève et la Peste ; Mathieu Molard, rédacteur en chef de StreetPress.com ; Inès Belgacem, red-cheffe adjointe à StreetPress ; Rousseaux Agnès et Sophie Chapelle, journalistes à Basta ! ; Nicolas Mayart, journaliste au MédiaTV ; Jérémy Paoloni, photographe ; Maxime Reynié, journaliste, créateur de maintiendelordre.fr ; Ulysse Logéat, Photo-Reporter à Taranis News ; Wilfrid Estève, photographe et directeur de l’Agence Hans Lucas ; Alain Genestar, journaliste et directeur de publication de Polka Magazine ; Bruno Barbey, Photographe Magnum Photos ; Sebastião Salgado ; Olivier Culmann, photographe ; Louis Witter, photojournaliste ; Yann Levy, photojournaliste ; Stéphane Trouille, reporter vidéaste ; Martin Bodrero, journaliste co-fondateur de Radio Parleur ; Walid Salem, journaliste et directeur de publication Rue89 Bordeaux ; Alexis Kraland, journaliste ; Gaël Cérez, rédacteur en chef de Mediacités Toulouse ; Nnoman Cadoret, photoreporter - collectif OEIL ; Julien Pitinome, photo reporter - collectif OEIL ; Théo Giacometti, photojournaliste ; Hascoët Julie, photographe membre de l’agence Myop ; Lamoulère Yohanne, photographe ; Michele Gurrieri, directeur de la photographie ; Baya Bellanger, journaliste et réalisatrice de documentaire ; Jean-Marie Leforestier, journaliste à Marsactu ; ValK, photographe ; Tixador Léo, graphiste à Le Média TV et journaliste ; Tulyppe, photo-journaliste ; Patrice Nice journaliste et photographe indépendant ; Fastre Sandra, photographe ; Estelle Ruiz, Studio Hans Lucas ; Sylvain Ernault, journaliste ; Blot Tiphaine, JRI ; Amanda Jacquel, journaliste indépendante ; Pauline Achard, journaliste à Liberation ; Toufik-de-Planoise, correspond local de presse Factuel.info - Radio BIP/Média 25 ; HARDOY, Matthias, journaliste ; Jeanne GOBIN, photojournaliste ; Ptak Guillaume, journaliste ; Théophile Pouillot-Chévara, Photojournaliste ; Alexandra Lassiaille, journaliste ; Baptiste Soubra, Photographe ; Lyafori Imane, Journaliste ; Léo Lefrançois, journaliste ; Daphné Deschamps, journaliste ; Thomas Clerget, journaliste ; Romain Boyer, photographe indépendant ; Lily Blue, photographe indépendante ; Eloise BAJOU, journaliste/photojournaliste ; Bastien Lion, journaliste ; Gaspard Flamand, journaliste ; Gazzoti Julie, photoreporter indépendante ; Marine Regini, journaliste ; Camille Estève, journaliste ; Clémentine Semeria, iconographe ; Ljubisa Danilović, photographe ; Thomas Baron, Photographe indépendant ; Maëlle Benisty, journaliste ; Julien Lormier photographe ; Christian Badger, photographe ; Thomas Hakenholz, vidéaste ; Cauhepe Pauline, Journaliste indépendante et photographe ; Escrihuela Méline, journaliste ; Anne Paq, photographe ; Louisa Benchabane, journaliste ; Clémentine Bonnet, photographe ; Kevin Piotrowski, journaliste ; Gabriel Pacheco, Photo-Reporter ; Mollé Nicolas, journaliste ; Auriane Duroch-Barrier, journaliste ; Philippe Borrel, auteur et réalisateur de films documentaires ; Lily Jaillard, journaliste ; Matthieu Chassain, pigiste ; Raphaël Kessler, photographe ; Stéphane Lavoisard, journaliste ; Pierre Salard, journaliste ; Liponne Nicolas, Photojournaliste ; Coissac Noémie photographe ; Crouzillat Hélène, réalisatrice ; Antoine de Raigniac, photojournaliste ; Maxime Buchot, journaliste ; Simon Abraham, journaliste ; Antoine Medeiros, journaliste ; Jean-Francois Fort, photographe ; Padovani Ugo, photographe ; Raillard Quentin, journaliste ; Justine Canonne, journaliste ; Antoine Atthalin, Resp. Communication Radio Parleur ; Tanguy H., journaliste ; Souteyrat Mathias, journaliste ; Vincent Kelner, journaliste ; Jean Saint-Marc, journaliste ; Gonon-Guillermas Georges, photographe ; Margaux Dzuilka, journaliste ; Etienne Cornec, journaliste ; Roche Mathilde, journaliste ; Fares El Fersan, photographe ; Rahmil David-Julien, journaliste ; Allag-Morris Safia journaliste ; Fares Lydia, photojournaliste ; Louis Claveau - JRI ; Laura poli, journaliste ; Marine Vlahovic, journaliste ; Bonhoure Matthieu, journaliste ; Maud Charlet, journaliste ; Emmanuel Davila, journaliste ; Dominique Faye, journaliste honoraire ; Aït Ouariane Maria, journaliste ; Coline Charbonnier journaliste ; Barriaux Céline, enseignante ; Hervé Bossy, photographe ; Pierre Isnard-Dupuy, journaliste ; Anne-Claire Veluire ; David Hury, journaliste et photographe ; Iliès Hagoug, journaliste ; Hélène Servel, journaliste indépendante ; Béatrice Turpin, JRI et réalisatrice de documentaires ; Hubinet Nina, journaliste ; Campitelli Nicolas, journaliste ; Sophie Eyegue, journaliste alternante ; Leïla Beratto, journaliste ; Thierry Noël-Guitelman, journaliste honoraire ; Benoît GILLES, journaliste ; Juliette Vincent Seignet, journaliste ; Clara Monnoyeur, journaliste ; Hélène Bourgon, journaliste ; Sandrine Lana journaliste ; Charlotte Machado, journaliste ;Christophe Noisette journaliste ; Minault Eve, réalisatrice de documentaires ; Julien Vinzent, journaliste ; Juliette Cabaço Roger, journaliste ; Gwenvael Delanoe, journaliste ; Zinzius Quentin, journaliste ; Carayol Rémi journaliste indépendant ; Nolwenn Weiler, journaliste ; Laura Diab, journaliste ; Alexis Montmasson, journaliste ; Romain Bouvet,journaliste ; Alexis Montmasson, journaliste ; Thomas Gropallo, journaliste ; Philippine Kauffmann, journaliste ; Simon Becquet, journaliste ; Valentin Monnier, journaliste ; Hadrien Degay Delpeuch, Graphiste & Musicien ; Chloé Dubois, journaliste indépendante (Collectif FOCUS) ; Matthieu Lacroix, photojournaliste ; William Zarour, directeur de production ; Pierre France, journaliste ; Slick Marie-Claude journaliste ; Lio Viry, journaliste ; Bourboulon Isabelle ; Larminach Guylaine - Auteur ; Hippolyte Radisson, journaliste ; Michel Desbordes, journaliste ;
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