NOUS RELAYONS ICI UN ARTICLE DU SITE
NATIONAL D'ACRIMED EN DATE DU 24 MARS
"QUELQUES PISTES DE RÉFLEXION SUR NOTRE ACTIVITÉ DANS LA PÉRIODE DE CRISE ACTUELLE"
La
crise du Covid-19 a d’ores et déjà des conséquences majeures. Elle a
conduit à l’adoption de mesures sans précédent, à commencer par le
confinement de la population, qui impacte tous les secteurs de la
société… y compris Acrimed.
De toute évidence, notre travail n’est pas facilité par cette situation inédite puisque, comme toutes et tous, nous subissons les conséquences sociales, intimes, physiques et psychologiques du confinement ou de la maladie. Nous ne serons donc pas en mesure de documenter la période actuelle avec la même intensité que d’habitude.
Mais ce constat en appelle immédiatement un second : nous ne comptons pas pour autant mettre la critique en veilleuse ! Car la période, malgré ce que peuvent laisser entendre les discours emphatiques sur « l’union nationale », s’y prête tout particulièrement : critique de l’action du gouvernement qui, à bien des égards, exacerbe les inégalités existantes (mais ce n’est pas l’objet de notre association) ; et surtout, la critique des médias.
L’information a un rôle essentiel dans la période actuelle. C’est pourquoi l’information comme bien public de qualité doit être une exigence démocratique majeure. Il va sans dire que le travail journalistique, en particulier le travail de terrain, d’enquête ou de reportage, n’est pas une tâche facile, aujourd’hui moins que jamais ; nul doute que les plus précaires de la profession seront largement impactés, de même que le secteur de la presse imprimée, déjà fragilisé avant la crise.
Mis à part de nécessaires réorganisations (notamment pour des exigences sanitaires pratiques évidentes) la crise n’a pas, pour l’instant, provoqué de changements majeurs dans le fonctionnement des grands médias : sur les chaînes d’information comme ailleurs, le journalisme dominant est toujours à l’œuvre, et avec lui ses travers et mécanismes bien connus.
Bref, la critique des médias a plus que jamais sa place dans la situation actuelle. Et nous comptons bien nous y atteler ! Voici dès à présent quelques pistes (non exhaustives) que nous approfondirons pour une « critique des médias par temps de Covid-19 .
- Crise sanitaire et information en direct
Le suivi « en temps réel » de la progression d’une pandémie (notamment via les chaînes d’information en continu) est un phénomène inédit en France. On assiste à une profusion de sujets, « notable quantité d’importance nulle », face à la nécessité permanente de renouveler les angles, et de faire « du neuf » (selon le mécanisme traditionnel du remplissage). On pense également à la multiplication de « reportages » en direct de rues ou de places vides, qui « font vivre » et entretiennent une information « en temps réel », autant qu’ils fournissent aux médias les images télégéniques voire spectaculaires dont ils raffolent. Si ces reportages informent de facto sur le confinement, la surface médiatique qui leur est accordée interroge, sur un temps plus long, quant aux hiérarchies éditoriales.
Mais le traitement médiatique de la crise sanitaire pose une autre question : celle de la discordance entre le temps du savoir scientifique et le temps de l’information en continu. Une question qui se pose également à d’autres moments, lors d’attentats par exemple : le ballet des « experts » et des hypothèses hâtives, en particulier sur les chaînes d’information en continu, impliquent inévitablement la diffusion de faux pronostics et de fausses informations, par la suite rectifiés… ou non. Le tout… en continu.
- Les « experts » médiatiques
Si les éditocrates et commentateurs traditionnels sont toujours en première ligne, la crise sanitaire fait (ré)émerger sur le devant de la scène médiatique deux catégories particulières : les experts « santé » et les experts « économie ». Concernant les premiers : au-delà des imposteurs et « médecins de la télé » – dont Michel Cymès est un cas exemplaire – de très nombreux médecins, aux pedigrees très divers, se sont rendus sur les plateaux. Certains relativisant l’ampleur du risque, d’autres, au contraire, beaucoup plus préoccupés par la situation. Une conséquence : la diffusion, au fil des jours (voire des heures !) de messages contradictoires (sur la durée de l’épidémie, la nécessité du port de masques, le temps de conservation du virus sur une surface, l’efficacité des tests de dépistage, et cætera) qui ne peuvent générer dans l’esprit du public profane que la plus grande confusion.
C’est notamment dans de telles situations que l’on regrette l’absence ou la rareté d’un journalisme scientifique compétent dont le rôle consiste précisément à trier, encadrer et commenter les discours d’« experts » plus ou moins éclairés, à faire le pont entre eux et le public. Informer le public ne relève pas d’un travail d’expert, mais de journaliste. Comme en économie, la parole des « experts » médicaux est par ailleurs rarement replacée dans son contexte, ce qui serait pourtant nécessaire compte tenu du fait que : 1) les connaissances sont partielles puisque les recherches autour du virus sont loin d’être achevées ; 2) les avis sur la pandémie et les moyens de lui faire face peuvent différer dans les milieux les plus spécialisés ; 3) tout « professionnel de santé » qu’il soit, un médecin n’est pas nécessairement spécialiste du covid-19, et des disciplines spécifiques existent dans le champ scientifique (et médical) lui-même (épidémiologie, virologie, infectiologie, etc.).
- La défiance à l’égard des médias
En cette période de crise sanitaire, les médias dominants ont un rôle à jouer en termes de diffusion des consignes. Un rôle qu’ils assument dans un contexte de défiance (souvent légitime) de la part de pans importants de la population, défiance exprimée de longue date, bien avant le début de la crise. Dans de tels moments, le rapport des citoyens à la parole publique et aux médias pose donc question. Des questionnements réflexifs sur l’information sont nécessaires, en particulier si les mécanismes conduisant à mal informer (voire à désinformer) persistent… Or, certains médias n’en prennent pas le chemin : s’ils ne manquent pas de montrer du doigt (parfois avec pertinence) les « fake news » qui circulent sur les réseaux sociaux, ou de s’insurger contre « l’irresponsabilité » d’une partie de la population, ils oublient, comme de coutume, de faire leur autocritique : dans la propagation de fausses nouvelles, comme dans la diffusion de messages contradictoires.
Parce que les frontières entre médias traditionnels et réseaux sociaux ne sont pas toutes si étanches, il est légitime de questionner le pouvoir d’arbitrage que se confèrent les premiers, sans tomber – et c’est très important ! – dans le relativisime ou dans la « critique » du « tous les médias mentent »... En d’autres termes, il faut que la critique porte la même exigence que l’information : documentée, argumentée et de qualité !
- L’information par temps « d’union nationale » ?
Sous prétexte « d’union nationale », il est d’usage pour les gouvernements d’appeler à suspendre toute critique. Les périodes de crise (voire de « guerre » – si l’on en croit Emmanuel Macron...) sont propices à des mesures de censures et des réflexes d’autocensure journalistique (« toute information est-elle bonne à diffuser en tout temps ») ? L’ « union nationale » justifierait-elle, en temps de crise plus qu’en temps ordinaires, un suivisme gouvernemental des grands médias ? L’État devient-il alors, au nom de la sécurité sanitaire, le seul maître de l’information dont les médias doivent se faire les relais dociles ? Il est permis d’en douter. La liberté d’informer et le droit à l’information doivent donc être plus que jamais défendus ! Car des pressions sont possibles, qu’elles émanent du pouvoir politique, économique… ou des chefferies éditoriales elles-mêmes. Aussi notre critique doit-elle rester vigilante face aux velléités de contrôle de l’information, et à leur éventuel renforcement dans la période actuelle.
- Crise sanitaire et information sociale
On le sait : en temps normal, l’information sociale est le parent pauvre de l’agenda médiatique. Or, la question du travail devrait, dans la crise actuelle, faire l’objet d’une attention toute particulière tant les bouleversements sont nombreux : conditions de travail des personnels soignants au-delà de l’éloge télévisé de leur magnifique dévouement, conditions d’exercice du télétravail et ses conséquences, sommations du gouvernement exigeant que de nombreux salariés aillent travailler au moment même où il impose à l’ensemble de la population de rester chez soi, remises en question des droits des travailleurs (droit de retrait, droit de grève, congés payés, etc.). Quelle place et quel traitement les grands médias réservent-ils à ces informations ? Notre critique scrutera tout particulièrement les prismes et biais habituels dans le traitement de l’information sociale. Sans oublier les enjeux des conditions de travail des journalistes et des autres personnels des médias, de leur protection dans les entreprises, mais aussi de leur liberté de circulation. Sans oublier non plus les pigistes et les précaires, qui ne sauraient être utilisés, dans la période actuelle, comme des variables d’ajustement !
- Crise sanitaire et journalisme de préfecture
Pendant la crise, le journalisme de préfecture sévit toujours dans les grands médias. Deux tendances sont déjà particulièrement visibles : d’une part, les reportages aux relents sécuritaires et spectaculaires, sujets « embarqués » auprès des policiers patrouillant dans les rues, décompte des amendes, suivisme vis-à-vis de la communication de la préfecture, co-construction de récits autoritaires, etc. D’autre part, une sous-médiatisation des violences policières commises notamment dans les quartiers populaires, alors que de multiples vidéos et témoignages circulent déjà sur les réseaux sociaux.
- Crise sanitaire et journalisme magazine
Pour le meilleur et pour le pire, la crise actuelle fait le bonheur du « journalisme magazine ». Bien au-delà des rubriques ou des émissions qui l’hébergent traditionnellement, ce journalisme se développe dans les bulletins d’info, chroniques, tribunes, revendiquant le partage de conseils en tout genre, et de récits de « vie de confinement ». Dans quelle mesure ces formats ne se contentent-ils pas de reproduire le prisme de classe souvent à l’œuvre dans le journalisme culturel en général et dans les pages « lifestyle » en particulier ? Les journalistes songent-ils parfois à se départir des biais qui les conduisent traditionnellement (sinon exclusivement) à donner à voir la vie, les préoccupations et les questionnements de leur propre milieu social (CSP+) ?
Ces quelques aperçus ne relèvent pas tous à proprement parler de la critique des médias. Ils proposent quelques données de cadrage pour aborder cette critique avec des moyens appropriés. Et nous donnent l’occasion d’adresser à nos lectrices et lecteurs tous nos encouragements face à cette période difficile que nous devons toutes et tous affronter.
La rédaction d’Acrimed
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